CHAPITRE XXII

Avec Moruth Doole, Luke et Lando visitaient une des énormes usines de traitement d’atmosphère de Kessel. Appuyés sur les rambardes rouillées qui bordaient une passerelle, leurs regards se perdaient dans le puits vertigineux de la cheminée d’expulsion. Ils respiraient l’air qui serait rejeté dans l’atmosphère ; l’endroit rappelait à Skywalker le grand puits d’aération de la Cité des Nuages.

Doole cria pour couvrir le grondement ambiant :

– D’après d’anciennes études impériales, il reste assez de matières premières dans la croûte de Kessel pour assurer l’équilibre atmosphérique pendant un siècle ou deux, si nous maintenons notre production actuelle. (Il haussa les épaules.) Il y a quelques années, elle était plus importante ; les esclaves pouvaient respirer librement à la surface… Mais pourquoi continuer à gaspiller ainsi ?

Lando hocha la tête d’un air absent ; Luke ne dit rien.

Doole avait joué au guide toute la journée. Il était plus bavard que les sénateurs de Coruscant. Le Rybet voulait obtenir le demi-million de crédits de Calrissian ; il continuait à vanter les mérites de Kessel comme un représentant de la chambre de commerce planétaire.

Où qu’ils aillent, Skywalker envoyait des sondes mentales pour repérer des traces de Yan et de Chewbacca. En pure perte… Aucun signe de la présence de ses amis.

Peut-être étaient-ils morts…

Lando poursuivit :

– Beaucoup de choses peuvent changer avant que les réserves d’air soient épuisées. Ce qui est important, c’est ce qu’on accomplit en une vie.

Le ricanement de Moruth fut couvert par le vacarme de l’usine.

Il posa une main sur l’épaule de Calrissian :

– Nous pensons de manière similaire, monsieur Tymmo. Qui s’intéresse à ce qui se passera quand nous ne serons plus que de la poussière spatiale ? Je préfère presser Kessel comme un citron tant que j’en ai l’occasion !

– Votre exploitation est impressionnante. Pourquoi continuez-vous de la diriger en solo ? demanda Calrissian.

Doole grimaça au mot « solo » ; Skywalker comprit aussitôt que son ami avait choisi sciemment ce terme.

Tous deux virent la réaction du Rybet.

– Que voulez-vous dire ?

– Eh bien, quand le monopole impérial a cessé vous auriez pu engager un millier de représentants pour prospecter la Galaxie. Jabba le Hutt est mort. Pourquoi ne pas contacter les contrebandiers unifiés par Talon Karrde et Mara Jade ? Vous pourriez en tirer d’énormes bénéfices.

Doole pointa un doigt sur Lando :

– Nos bénéfices sont en augmentation, à présent que nous prenons tout le glitterstim, plutôt que les miettes que nous pouvions piquer à l’Empereur. Après être resté si longtemps sous le contrôle de l’Empire, je ne voulais pas me retrouver dans une position similaire avec la Nouvelle République.

« Tout le monde sait que Jade et Karrde sont des pantins. (Voyant le scepticisme de Calrissian, il s’empressa d’agiter les mains :) Mais nous y réfléchissons, bien sûr. En fait, j’ai déjà parlé avec un ministre de la Nouvelle République pour ouvrir des négociations en vue d’une alliance.

– Voilà de bonnes nouvelles, approuva l’ancien administrateur de la Cité des Nuages.

Doole les conduisit jusqu’au sas d’accès à la passerelle, où attendait D2-R2. Refermant la porte derrière lui, le Rybet marqua une pause, le temps que leurs oreilles s’habituent à nouveau au silence.

– Comme vous le voyez, beaucoup de choses évoluent. Mon ami, vous avez choisi le bon moment pour vous joindre à moi.

– Si je décide d’investir, précisa Lando.

– Oui, oui, si vous décidez d’investir. En vérité, ce pourrait même être plus important, monsieur Tymmo. Depuis la mort de Skynxnex, j’ai besoin d’un nouvel… heu… assistant.

Calrissian se drapa fièrement dans sa cape :

– Si j’investis un demi-million de crédits, Doole, je m’attends à devenir associé, pas « assistant ».

– Bien sûr, balbutia l’autre. Nous verrons ces détails plus tard. J’ai aussi besoin d’un nouveau contremaître. Peut-être votre compagnon serait-il intéressé ?

Le regard de Luke se posa sur la lentille mécanique du Rybet :

– J’y réfléchirai.

Doole l’ignora, préférant se concentrer sur Lando :

– Eh bien, monsieur Tymmo, vous avez presque tout vu. Aimeriez-vous visiter autre chose ?

Calrissian échangea un regard avec Skywalker, qui réfléchit un instant.

La lune-garnison le troublait. Si Yan n’était pas sur Kessel, peut-être était-il retenu là.

– Ne craignez-vous pas une attaque des dernières forces de l’Empire ? demanda-t-il. Ou de la Nouvelle République ?

Doole fit un geste dédaigneux :

– Nous avons de quoi nous défendre. Ne vous en faites pas.

Prenant l’air d’un comptable prudent, le Jedi insista :

– Si nous investissons, nous désirons voir les défenses. A part le bouclier d’énergie du Complexe d’incarcération Impériale, disposez-vous d’une flottille ?

Doole hésita ; Lando reprit :

– Moruth, s’il y a quelque chose que vous ne voulez pas montrer…

– Non, ça ne pose aucun problème. Je vais demander une navette pour vous conduire sur la base lunaire. Je ne voudrais pas vous laisser croire que je veux cacher quelque chose !

Le Rybet partit superviser la préparation de la navette, laissant Luke et Lando échanger des regards sceptiques.

 

Lando n’aimait pas l’idée d’abandonner le Lady Luck sur la piste d’atterrissage du Complexe d’incarcération Impérial ; cependant, Doole continuait de jouer à l’hôte prévenant. Luke tenta de le consoler silencieusement lors du décollage de la navette, mais Calrissian ne cessa de regarder par le hublot, redoutant sans doute de ne jamais revoir son navire.

Creusée par l’homme pour accueillir un énorme hangar, plus les générateurs et le transmetteur qui créaient le bouclier d’énergie, la lune de Kessel approchait.

Après l’atterrissage, Moruth Doole sortit en se dandinant, leur faisant signe de le suivre avec une impatience qui éveilla la curiosité de Skywalker.

Derrière un écran transparent de retenue d’oxygène, il vit les étoiles et les traînées de gaz de l’amas de trous noirs.

Doole paraissait plus fier de sa flotte de défense que des autres aspects de l’exploitation minière de Kessel.

– Suivez-moi.

Il leur montra les navires rangés dans le gigantesque hangar. Luke en reconnut certains ; d’autres étaient si exotiques qu’il ne parvint pas à les identifier : chasseurs X, chasseurs Y, corvettes corelliennes, chasseurs à ailes B, intercepteurs et bombardiers Tie, plusieurs frégates Skipray, navette d’assaut de classe gamma… Dans l’espace orbitaient les plus gros vaisseaux d’interception : trois croiseurs Carrack, deux frégates Lancer et un croiseur d’attaque Loronar.

– Après avoir chassé l’Empire, expliqua Doole, j’ai accordé la priorité à la formation d’une flotte de défense. J’ai acheté tous les navires possibles, quel qu’en soit l’état, et j’ai engagé des ingénieurs corelliens du secteur de Nar Shaddaa. (Il sourit.) Nous avons réussi à remettre le bouclier planétaire en service il y a deux jours.

« Maintenant, je peux soupirer de soulagement. Avec l’écran et la flotte, Kessel est en sécurité. Nous transporterons sans interférence les épices dans toute la Galaxie.

– Vous avez beaucoup de navires, acquiesça Lando. Je suis impressionné.

Luke se souvint des difficultés de la Nouvelle République à trouver des vaisseaux pendant la guérilla de l’Amiral Thrawn. Si Moruth Doole était parvenu à récupérer tout les navires en état de marche du secteur, il ne se posait plus de questions sur leurs problèmes d’alors.

– Nous devrions pouvoir affronter les pirates spatiaux. Qu’en pensez-vous ?

Ils continuèrent de déambuler parmi les intercepteurs de tout genre.

Soudain, Calrissian se figea ; Luke sentit un flot d’émotions émaner de lui.

D2 siffla d’un air nerveux.

Tournant la tête, le Jedi remarqua un cargo léger corellien…

Il semblait familier.

– Qu’y a-t-il ? demanda Doole, fixant le droïd.

Il fallut un instant pour que Lando recouvre son calme. Il tapota le dôme du robot :

– Des rayons cosmiques, je suppose. Parfois, les anciennes unités astromech grillent un circuit. (Il déglutit.) Pourrais-je m’entretenir un instant en privé avec mon assistant, Moruth ?

– Oh… heu… bien sûr. (Le Rybet recula discrètement.) Je vais m’assurer que les mécaniciens préparent notre navette pour le retour sur Kessel. Je suppose que vous allez discuter affaires !

Dès que Doole fut loin, Lando désigna le cargo :

– C’est le Faucon, Luke ! Je le connais comme ma poche !

Convaincu, mais désirant plus de preuves, Skywalker scruta le navire.

– Tu en es sûr ?

– C’est le Faucon. Il m’appartenait, si tu te souviens, avant que Yan le gagne au sabacc. Si tu regardes de plus près, tu verras des marques à l’endroit où j’ai perdu mon antenne, lors de la bataille de l’Etoile Noire.

Le Chevalier Jedi remarqua aussi des traces de combat plus récentes :

– Ils ont peut-être changé l’identification et effacé la mémoire de l’ordinateur. Comment le prouver ?

– Il faut que j’entre dans la cabine de pilotage. Yan a bricolé des modifications que personne d’autre ne connaît.

Quand Doole revint, Lando lui sourit :

– Mon assistant veut être sûr que vous entretenez convenablement ces navires. Si vous n’en prenez pas soin, ils ne seront pas très efficaces dans une flotte d’intervention. Choisissons-en un au hasard… Pourquoi pas ce cargo corellien ?

Moruth parut surpris :

– Celui-ci ? Vous savez, il y a d’autres navires, en meilleur état… Ce n’est qu’une vieille carcasse.

Calrissian secoua la tête :

– Si vous choisissez le vaisseau, Moruth, quelle est l’utilité d’une inspection ? Ouvrez celui-ci.

A regret, le Rybet abaissa la rampe du Faucon. Les deux Rebelles et le droïd le suivirent à l’intérieur.

Lando entra dans la cabine de pilotage, prétendument pour vérifier le bon état des systèmes.

Il actionna quelques commutateurs :

– Le stabilisateur ionique fonctionne à merveille, tout comme le générateur de champ. Pourrions-nous vérifier le convertisseur de matière ? C’est toujours le point faible des cargos corelliens.

Calrissian inspecta la cabine. Dans le cockpit, il avait actionné une commande secrète ; quand il posa le pied sur une dalle de métal donnée, les compartiments secrets du Faucon s’ouvrirent.

– Je te tiens, Doole ! Espèce de saloperie ! (L’ancien administrateur saisit le Rybet par le col.) Qu’as-tu fait de Yan et de Chewie ?

Sidéré, Doole agita les bras d’un air paniqué.

– De quoi parlez-vous ?

Il tira de sa ceinture un mini-blaster.

Luke s’en aperçut.

Il utilisa aussitôt ses pouvoirs pour projeter Doole en arrière. Le Rybet percuta la paroi interne du vaisseau. Sous le choc, son œil mécanique tomba, se brisant sur le sol.

Doole tira à l’aveuglette.

Le rayon ricocha sur les parois du Faucon.

Moruth profita de la confusion pour ramasser sa prothèse, prendre ses jambes à son cou et redescendre la rampe d’accès, hurlant à la garde.

Luke referma l’écoutille de l’intérieur :

– Nous aurions dû le prendre en otage. Maintenant, sortir d’ici sera plus difficile.

Le Rybet avait donné l’alerte. Arme au poing, des gardes accoururent.

– D2, connecte-toi à l’ordinateur ! s’écria Skywalker.

Lando sauta dans le siège de pilotage.

– Je doute que nous puissions faire quelque chose pour Yan. Il faut rentrer prévenir Leia. Elle enverra une flotte…

– Si nous en sortons vivants !

– D2, branche-toi sur l’ordinateur du copilote et contacte les contrôles du hangar.

Le droïd astromech émit une série de bips électroniques. Il roula jusqu’à la console de navigation.

Dans le hangar, l’alerte résonnait, assourdissante. Des gens couraient en tous sens, ignorant l’origine de l’alarme. Luke constata que ces mercenaires avaient moins d’expérience que le plus mauvais régiment impérial.

Quand Calrissian décolla, une cible apparut clairement à tous.

– D2, ouvre le champ de force du hangar ! s’écria Skywalker.

Utilisant les propulseurs auxiliaires, il se dirigea vers la sortie. Sans hésiter, des pilotes se précipitèrent dans leurs chasseurs.

En orbite autour de la lune, les plus gros navires ne paraissaient pas encore conscients de la situation.

Lando accéléra.

Les sifflements de D2 ne semblaient pas particulièrement positifs.

– Déconnecte ce champ de force !

La tige d’interface du droïd tourna dans le jack.

D2 tentait de découvrir le code d’accès.

Le Faucon prit de la vitesse.

– Allons, dit Lando au navire, tu peux le faire ! Une dernière fois, pour Yan !

D2 émit un bip de triomphe ; ils traversèrent le champ de force.

Il s’était baissé juste à temps.

Luke jeta un coup d’œil aux écrans : les navires en orbite étaient alertés.

Tous se préparaient au combat.

Le Faucon Millenium s’élança dans l’espace, poursuivi par une armada.